EVASION DE CALLACOIS DU TRAIN
LE 1er JUILLET 1944
PRES D'ANCENIS (LOIRE-ATLANTIQUE)


Témoignage de Paul NICOL
Récit intégral de Paul NICOL originaire de CaIlac,
recueilli dans le fascicule de Valentin BERTRAND "1940-1944
La Résistance face aux nazis - région de Callac".



Paul NICOL

Lors de la rafle dans la nuit du 8 au 9 avril 1944 à Callac, je me suis rendu comme demandé aux halles, étant en avance sur l'heure fixée par l'annonceur public, je suis allé à la rencontre d'un camarade, m'éloignant un peu des halles, c'est alors qu'une personne m'a averti qu'un soldat allemand me visait avec son arme croyant sans doute que je voulais m'enfuir, il s'en est fallut de peu que je sois abattu.
Interrogé, étant en règle, j'ai répondu à un certain nombre de questions posées par un Allemand, le secrétaire de mairie pris à témoin confirma mes réponses, c'est sans doute à cela que je dois d'être remis en liberté.
Après la rafle, par précaution je suis allé dormir chez une tante à La Chapelle-Neuve que je rejoignais à bicyclette après mon travail, au bout de quelques jours, pensant que la surveillance allait se relâcher sur Callac, je suis revenu dormir à mon domicile.

Le 18 avril 1944 à 4 h du matin
Les feldgendarmes cernent ma maison, j'avais pourtant prévu une possibilité de fuite par une petite fenêtre et le toit, la maison étant entourée d'Allemands toute évasion était rendue impossible.
Interrogé à la gendarmerie de Callac en présence des gendarmes Le Pape et Poulard. Les mains attachées, les coups pleuvent m'envoyant d'un côté à l'autre de la pièce, ensuite je suis envoyé à la feldgendarmerie de Guingamp située avenue de la Gare pour un nouvel interrogatoire, attaché au radiateur du chauffage central, les coups deviennent intenables. Ils connaissent le groupe auquel j'appartiens, le groupe "Richelieu", mon nom de guerre, Léon, et mon numéro matricule 2O46, mais je nie tout en bloc et le gestapiste qui m'interroge me dit : "Votre jurement est comme celui d'un juif, vous aurez la tête coupée".
Incarcéré à la maison d'arrêt de Guingamp avec quatre autres camarades (1) arrêtés le même jour, l

Le 9 mai 1944
Nous quittons Guinqamp pour la Maison d'arrêt de Saint-Brieuc ; là, certains camarades ont été fusillés, au petit matin ; je pensais, demain peut-être ce sera mon tour...

Le 18 mai 1944
Nous partons pour le camp Marguerite à Rennes, annexe de la prison Jacques Cartier, bien encadrés. Toute évasion est impossible, c'est déjà le début du système concentrationnaire, logés en baraques, ce camp est entouré de chevaux de frise et de miradors.

Le 28 juin 1944 au soir
A notre départ du camp mal nourris, couverts de poux, nous avons du mal à tenir debout, nous rejoignons à pieds la gare de Rennes, puis nous embarquons à plusieurs centaines de camardes dans des wagons à bestiaux, chacun une boule de pain, rien à boire et il fait très chaud l'été 1944...
Le convoi démarre tard dans la nuit, s'arrête à Redon dans l'Ille-et-Vilaine et plusieurs fois en rase campagne. Nous arrivons à Chantenay-sur-Loire (Loire-Inférieure ; Loire-Atlantique) (2) dans la matinée du 29 juin, après un va-et-vient Chantenay-sur-Loire - Nantes, à pieds, la Croix Rouge prévenue essaie de nous donner un peu d'eau, mais les Allemands font vider les fûts sous nos yeux.
Pendant notre embarquement je peux voir la composition du train. Il comprend une quinzaine de wagons de marchandises dont quelques-uns occupés par la troupe allemande, au milieu du convoi un wagon plat avec deux mitrailleuses et leurs servants et un wagon similaire en queue de train. Sur les deux wagons, deux sentinelles sont postées ; de ce fait un espace sans garde existe entre deux wagons. J'embarque dans un wagon presque complet. J'ai le réconfort de retrouver plusieurs camarades Callacois ; ensuite notre lot est la soif, la dysenterie, c'est le début de l'enfer. Aussi à la nuit tombante quand le camarade Jean Prigent muni d'une tenaille trouvée au camp Marguerite de Rennes coupe le barbelé de la lucarne, je suis de suite volontaire pour I'évasion, préférant risquer la mort que de mourir à petit feu dans cet horrible wagon. Certains essayent de nous dissuader, "les Allemands ne savent plus que faire de nous, le débarquement a eu lieu, on ne pourra pas aller plus loin", d'autres étaient de mon avis.
Un des candidats à l'évasion, le corps à moitié au dehors du wagon par la lucarne est tiré par les pieds vers l'intérieur par une personne opposée à toute évasion, je suis intervenu pour le repousser violemment, permettant à mon camarade de s'évader.

Le 1er juillet 1944, à 2 h du matin
Nous sommes six compagnons : Jean Prigent, René Philippeau 17 ans, un Le Jean cheminot de Rennes (Ille-et-Vilaine), Amiel du Faouët (Finistère) et un Parisien à nous évader du wagon. Une fois hissés hors du wagon nous restons sur les tampons jusqu'à un ralentissement du train pour tenter le saut final ; le temps parait très long, nous sautons et, sans bouger, nous laissons passer le train qui n'en finit pas.
Nous sommes libres ou presque, mais dans quel état... Comme convenu, nous recherchons le long de la voie ferrée les autres évadés. Je retrouve René Philippeau et Charles Geffroy évadés d'un autre wagon. Il est imprudent d'insister et l'on s'enfonce dans le marais, sur une petite route, croyant toujours entendre des bruits de bottes.
Charles Geffroy est blessé assez profondément à la tête, nous sommes tous sales à faire peur, pour ma part, chanceux, je suis intact.
En attendant le lever du jour, il faut marcher et nous avons l'impression de tourner en rond. Puis, nous apercevons une ferme isolée ; avec méfiance je m'approche, car mes camarades blessés sont couverts de sang ; les fermiers nous donnent à manger, nous sommes à quelques kilomètres d'Ancenis (Loire-Inférieure ; Loire-Atlantique). Avec I'aide du soleil et de la carte d'un almanach des PTT gentiment donné par le fermier, nous nous dirigeons vers notre point de repère : le Canal de Nantes à Brest. Nous y arrivons à la tombée de la nuit exténués ; nous dormons dans une étable et nous retrouvons Georges Loscun, évadé d'un autre wagon, ainsi que Jojo Coriot. Nous continuons notre route, marchant la nuit, sans papiers, sans argent, nourris au hasard de la route par des fermiers malgré notre aspect. Nous arrivons au lieu-dit La Chevaleraie, mais nous sommes trop nombreux et facilement repérables ; nous traversons Blain (Loire-Inférieure ; Loire-Atlantique) de nuit et décidons de former deux groupes. Les pieds en sang, je reste à la ferme de Saint-Omer avec Charles Geffroy et Jojo Coriot.
Par la suite, j'apprends que René Philippeau et Georges Loscun furent repris et arrêtés par les Allemands à 4 km de Pontivy ; ils furent torturés et fusillés à Pluméliau (Morbihan).
Le lendemain, le cultivateur vient nous prévenir qu'une péniche passe sur le canal. Le marinier accepte de nous prendre à son bord jusqu'à cinq kilomètres de Redon (Ille-et-Vilaine) malgré les risques encourus ; après 25 km environ, le marinier nous fait vivement descendre dans la cale de la péniche car nous passons sous un pont SNCF qui avait été bombardé par les Anglais, et les Allemands surveillent la réparation du pont, les pierres tombées au fond du canal raclent le fond de la péniche, la peur nous envahit mais le marinier attache le palan à un arbre pour nous tirer de ce mauvais pas. Il revient nous dire qu'il nous faut débarquer, le risque devient trop grand. On se retrouve dans les marais de Redon car il nous faut traverser la Vilaine ; un pêcheur providentiel nous fait traverser la rivière, puis dans un petit bourg, une dame compatissante nous soigne les pieds et contacte le maquis de la Chauvaille ou l'on retrouve Alexis Chauvel et Jean Lachiver. Nous restons trois jours pour prendre un peu de force et de courage pour repartir. Toujours suivant le canal et par des chemins, nous arrivons à Caurel, enfin dans les Côtes-du-Nord, pleins d'espoir malgré notre épuisement.
Nous sommes hébergés chez une tante de Charles Geffroy, chef de gare de cette localité, qui peut prévenir nos familles de l'évasion et de l'endroit où nous sommes, ce qui permis à ma sœur Christiane et à la sœur de Charles Geffroy de nous envoyer quelques vêtements et un peu de nourriture, quelle joie de revoir notre famille !
Toujours à pieds le long du canal nous arrivons à Gouarec. Nous déjeunons chez Roger Melscoët âgé de 14 ans qui avait été arrêté avec son patron pâtissier Louis Allenou (mort en déportation) et interné au camp Marguerite, puis libéré vu son âge. De Gouarec, nous prenons la direction de Kergrist-Moëlou ; avant d'y arriver nous dormons dans une ferme près d'un bois ; le lendemain, vers 6 h du matin nous retrouvons Rolland boulanger à Kergrist-Moëlou, autre résistant libéré du camp Marguerite, celui-ci nous cherche une ferme sûre pour nous cacher et nous reposer, car Callac est encore infesté par les Allemands et la milice. Après quelques jours je prends malgré tout la direction de Callac pour rejoindre mon groupe de Résistance commandé par Auguste Fercoq.

Le 4 août 1944
C'est l'arrivée des Américains, nous sommes enfin libérés. Je reste mobilisé jusqu'à la fin du mois de septembre ; à cette date je peux reprendre mon activité professionnelle.
Les années ont passé, beaucoup ne sont pas revenus des camps de la Mort. De ce wagon, seul reste Jean Prigent avec qui j'évoque des souvenirs et la mémoire de nos camarades disparus pour la Libération de la France.

Paul NICOL

A Plusquellec le 16 mars 1994

(1) : Ce jour là, Georges LOSCUN, Yves LOSSOUARN, Ernest PHILIPPEAU et son fils Roger furent arrêtés, les PHILIPPEAU furent libérés à Guingamp.
A la maison d'arrêt de Guingamp, j'ai côtoyé Charles QUEILLE qui sera fusillé le 12 mai 1944 au camp d'aviation de Servel près de Lannion.
(2) Chantenay-sur-Loire, commune réunie à Nantes (Loire-Inférieure ; Loire-Atlantique).


Noms cités par Paul NICOL

ALENOU Louis
Né le 28 novembre 1913 à Gouarec, boulanger pâtissier à Gouarec, responsable FTP.
Le 18 mai 1944, il est arrêté à son domicile sur dénonciation lors d'une rafle sur le secteur, détenu à la prison de Saint-Brieuc puis au camp Marguerite de Rennes après avoir été martyrisé.
Interné à Compiègne dans l'Oise, déporté au camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg en Allemagne à partir du 31 juillet 1944, kommando de Brême Osterort, matricule 40182, disparu en baie de Lubeck le 3 mai 1945 à bord du paquebot "Le Cap Arcona".

CHAUVEL Alexis
Né en 1902 à Callac, instituteur, FTP.

CORIOT Georges

FERCOQ Auguste
Né le 16 janvier 1924 à Saint-Brieuc, sabotier, demeurant chez ses parents débitants buralistes à Callac, responsable FTP, décédé accidentellement en 1944.

NICOL Paul
Né le 19 septembre 1924, marbrier à Callac, FTP.

LACHIVER Jean
Né le 5 novembre 1920 à Callac, demeurant à Callac, FTP.

LOSCUN Georges
Né le 4 juillet 1905 à Carhaix (Finistère), demeurant à Callac-de-Bretagne, mécanicien - électricien, FTP.

LOSSOUARN Yves
Né le 4 juillet 1921, bourrelier, demeurant rue de la Gare à Callac, FTP.

MELSCOET Roger
Né le 6 octobre 1927 à Kergrist Moëlou, ouvrier pâtissier chez Louis Alenou, FTP. Arrêté le 18 mai 1944, martyrisé, libéré par la suite.

PHILIPPEAU Ernest
Agé de 43 ans, père de dix enfants dont quatre sont encore à sa charge, libéré à Guingamp.

PHILIPPEAU René, fils d'Ernest
Né le 10 septembre 1926 à Sainville (Eure-et-Loir), demeurant à Callac-de-Bretagne, célibataire, ébéniste, FTP.

PHILIPPEAU Roger, fils d'Ernest
Agé de 15 ans, apprenti ébéniste, libéré à Guingamp.

PRIGENT Jean
Né le 28 juillet 1910 à Callac, demeurant rue de la Gare à Callac.


Lettre de Paul NICOL écrite à Saint-Brieuc et adressée à sa famille
Le mardi 17 mai 1944

Bien chère maman, Christiane et Mad (1),

Un officier allemand vient de nous dire de nous préparer à partir pour demain 6 h. Il nous a dit qu'on allait au jugement. Monsieur Philippeau reste là et va sans doute être libéré aussi je fais la lettre pour lui donner.
L'officier nous a dit que peut-être on serait libéré mais je n'ai pas grand espoir. Enfin on verra bien.
Nous sommes à Saint-Brieuc depuis le 11. J'avais vu Christiane quand je rentrais dans le camion.
Je suis bien content que vous avez pu me voir à Guingamp, je regrette que Madeleine n'était pas avec vous, car on ne sait ce qui peut arriver et j'aurais voulu pouvoir l'embrasser une fois encore.
Vous embrasserez bien la tante et Adolphe pour moi, ainsi que Lisette Morin, dites leur que je les aimais bien tous.

Bonjour à Auguste et à Louis.

Maman tu me pardonneras des fois j'étais un vif, mais ce n'est pas de ma faute si je suis si nerveux et tu sais bien que je t'aimais bien. Enfin peut être que je viendrai encore faire un tour à Callac plus tôt que je ne le pense.
Je termine car j'ai mes affaires à préparer, je ferai donner le reste par Monsieur Philippeau.
Vous donnerez le bonjour à Yvonne Denmat (2), dites lui que je l'ai bien aimé.
Je vous embrasse tous les 3 affectueusement.
Votre fils et frère qui vous aimais bien.
Adieu ou à bientôt.
Bons baisers.

Paul

(1) Christiane et Madeleine les deux soeurs de Paul Nicol
(2) Yvonne Denmat, future épouse de Paul Nicol